PERMETTRE UNE AUTRE VIE EN ÉTABLISSEMENT

mardi 20 octobre 2020
par  F.LEGEAS-BOUTTIER
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MAS, FAM… certes, les personnes accueillies peuvent être très diverses et on peut penser qu’un petit nombre peut tirer profit d’une vie - au moins une partie du temps – « ailleurs », dans la cité .

Demeurent les plus atteints : sans défense , souvent sans parole ni capacité motrice , ils sont en deux mots vulnérables et dépendants, en permanence. Pour eux, vote, usage du numérique, logement personnel, travail,… n’ont aucun sens. Corset-siège, verticalisateur, mixé, fausse route,… sont des mots plus familiers. Le « médical » l’emporte sur le « social ».

Y a-t-il pour eux un véritable choix ? En réalité, toute leur vie leur échappe largement, le « choix » pouvant parfois se résumer à des cris, ou à une manifestation de mal-être face à un insoluble conflit de loyauté, pris entre entre leurs parents et l’institution. Ou face à la solitude...

L’institution est prescriptrice : du temps, du contenu. Elle est fermée. De protecteur, le lieu clos se fait asilaire. On retrouve là des critiques émises il y a un demi-siècle déjà, à l’encontre des services de psychiatrie. Mais il ne faudrait pas, à l’instar de ce secteur, voir disparaître les « lits » ( « les places ») au profit d’un « renvoi hors les murs » : surréaliste s’il s’agit de vivre seul, inacceptable si cela revient à un retour pur et simple en famille… Quelle famille au demeurant ? Les parents ne sont pas éternels, la fratrie n’existe pas toujours ; elle peut avoir ses propres contraintes…

Les polyhandicapés sont particulièrement concernés. Ils sont la plupart du temps mal connus, si ce n’est méconnus : ils sortent peu, sont difficiles à « comprendre ». Leur degré « d’acceptabilité sociale » est faible dès lors qu’ils sont devenus adultes. Les lieux doivent être conçus pour eux et non simplement accessibles. Agés, il est impensable d’envisager un accompagnement de type EPAHD.

« Etranges étrangers » que ces résidents de MAS ou de FAM... La littérature sur l’inclusion est à cet égard éclairante : jusque et y compris dans une revue telle que Vivre ensemble les spécificités de ces structures du médico-social sont très peu prises en considération ( cf étude rapide de deux numéros). Pourtant, j’ose ici le réaffirmer une fois encore : non, il n’y a pas « LE » handicap . Et, quand bien même nombre d’APEI se seraient historiquement constituées pour bâtir IME et ESAT, il n’en demeure pas moins qu’elles sont souvent, désormais, gestionnaires d’EEAP, de MAS... ce qui leur impose de facto une charge morale et de représentation de ce « public » aussi.

Certes, pour ce qui est de légiférer, et pour leur part, les pouvoirs publics se doivent de respecter le credo d’une République « Une et indivisible », dans laquelle la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » : mais s’il ne peut ainsi y avoir, par essence, de politique du handicap à vocation catégorielle, il convient cependant de prémunir les plus fragiles, les moins visibles et malheureusement ( pour eux) les plus coûteux, de toute assimilation à d’autres formes de handicap.

Le rapport de la commission sénatoriale remis en 2018 [1] est de ce point de vue sage car réaliste. Contrairement aux propos médiatisés tenus tant par Madame Aguilar [2] que – pour le gouvernement français, Madame Cluzel [3] – ceux des sénateurs, par la voix de leur rapporteur, Monsieur Moullier, admettent plus sagement l’évidence : les personnes en situations de handicap les plus difficiles ne peuvent vivre « hors les murs ».

Alors, quid ? Une réitération du « Grand renfermement », et qui en outre serait soutenue par les familles ? Une forme de relégation – abandon , fondée sur un poids de malheurs dont nul n’est « responsable » ni « coupable » ? En aucun cas.

Oui, le polyhandicap « lourd » peut nous interroger sur l’appartenance des uns et des autres à une commune humanité… ne le nions pas. Ils contrarient par ailleurs le goût de notre époque pour quiconque est jeune et beau. Ils contredisent en outre une propension au positivisme en matière médicale. Mais affirmons aussi haut et fort qu’il s’agit là, quel que soit leur âge, quelle que soit leur apparence, de nos fils, de nos filles, de nos frères, sœurs… qu’ils ont comme vous et moi des proches, une histoire, une personnalité, une individualité, des sentiments… Ils nous disent aussi que cette situation qui est la leur est susceptible à tout moment de devenir la nôtre : qui est à l’abri d’un accident, d’une maladie ?

Renoncer pour eux au processus inclusif, pour ces raisons, est tout aussi impossible. L’inclusion doit donc prendre une autre voie : il ne s’agit pas ici de faire tomber les murs, avec leur fonction protectrice, mais d’y percer des ouvertures, d’ y modifier le fil des jours, pour y permettre – autant que faire se peut – une « autre vie », tout au long de la vie, prenant en considération les goûts, les aptitudes, les désirs de chacun et son vécu « avant » ou/et hors l’institution.

Un énorme défi pour tous les acteurs concernés que celui qui va consister à élaborer et mettre en œuvre un « penser autrement, travailler autrement, pour permettre de vivre autrement ».


[1REPENSER LE FINANCEMENT DU HANDICAP POUR ACCOMPAGNER LA SOCIÉTÉ INCLUSIVE,
rapport d’information de M.Philippe Mouiller, fait au nom de la commission des affaires sociales, 10 octobre 2018
( téléchargeable sur le site du sénat)

[2RAPPORT de 2019 , ONU , sur les droits des personnes handicapées en France, remis par Madame Catalina Devandas- Aguilar , rapporteuse spéciale, après sa visite en France en 2017 consultable ici.

[3« Il faut arrêter de financer, par exemple, des murs qui coûtent très cher et financer des services d’accompagnement. » et « Il faut qu’on transforme notre offre médico-sociale, assure la Secrétaire d’État chargée des personnes handicapées. Il faut qu’on désinstitutionnalise en accompagnant. » car « les personnes handicapées veulent une émancipation sociale. Elles veulent vivre comme les autres. »
Source - cité par :
Faire face - Établissements pour personnes handicapées : Sophie Cluzel veut « désinstitutionnaliser »


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